Dosseh, ascenseur émotionnel

Le rappeur français Dosseh. © FIFOU

Le rap français, nouvelle variété ? Pas seulement. Avec la sortie de Trop tôt pour mourir, le 3e album de Dosseh, 37 ans, on découvre un solide candidat au titre d’album rap de l’année. Adepte du storytelling, l’art perdu du rap français, Dosseh se place dans la cour des grands avec ce disque à la fois intime et universel, truffé de titres au fort potentiel émotionnel. Discussion avec un rappeur qui manie la technique à la perfection pour la mettre au service de l’émotion.

RFI Musique : votre album fait appel au storytelling et révèle des émotions intimes. C’est plutôt rare dans le rap français…
Dosseh : En ce qui me concerne, il y a du storytelling dans tous mes albums. Là, il y en a plus que d’habitude, et plus puissant, c’est le but. Ça me fait plaisir qu’on pense ça. Je viens d’une école où on a peur des émotions. Avec l’âge et du travail, j’ai réussi à sortir des trucs direct de mon cœur, ce qui n’est pas forcément dans les codes.

Le rap peut-il être une thérapie ?
Ce côté exutoire, je ne l’avais jamais ressenti de cette manière depuis le début de ma carrière. Je trouvais un peu cliché les rappeurs qui disaient ça. Je trouvais qu’ils forçaient, et bizarrement, sur cet album, c’est totalement là-dedans que j’étais. C’est ce qui explique la profondeur de certains morceaux, je me suis livré. C’était un besoin, pas une envie.

Dans le titre Fleur d’automne, dédié à votre mère disparue, vous rappez votre dédain pour les textes sur le sujet. Vous ne pensiez pas à Si loin de toi, écrit par votre frère Pit Baccardi ?
Non, ça n’est pas du tout à ce morceau-là auquel je pensais, mais à 97% des chansons sur les daronnes. J’ai toujours trouvé ça facile, "Maman t’étais là, tu m’as nourri" … Un qui m’avait giflé à l’époque, c’est Une femme seule d’AKH (solo d’Akhenaton inclus dans l’album d’IAM Ombre est lumière, NDLR). C’est le niveau d’écriture qui donne de la force à ce genre de morceau. Mais le morceau classique sur les mères… T’as vu, je n’ai pas cité de nom, je ne manque de respect à personne (Rires) !

C’est écrit d’une traite, les yeux embrumés, ou c’est le résultat d’un long processus ?
Il y a eu deux versions. La première ne m’a plus satisfait après quelques mois, et du coup, j’ai fait Fleur d’automne. Ça n’est pas que ça m’a pris du temps à l’écrire, c’était le temps de la réflexion, pour savoir où je voulais aller.

Dans L’Algorithme de Dieu, vous évoquez le fait d’être sous-coté…
Moi, je n’en ai pas l’impression, mais c’est ce qu’on lit sur les réseaux me concernant. Comme je le dis dans le texte, "Je m’en bas les couilles d’être sous-coté tant que je ne suis pas sous-payé". Je n’ai pas l’impression d’être un roi sans couronne. Je comprends ce que les fans disent, ça part d’un bon sentiment, ils pensent que je mérite plus que ce que j’ai actuellement, ce que je peux comprendre.

On retrouve plusieurs références à 2Pac, dès le titre du disque…
Quand j’étais gamin, je n’avais que deux posters dans ma chambre, 2Pac et Michael Jackson. C’est dire la place qu’il occupe dans ma vie musicale.

D’ailleurs, un morceau s’intitule Smooth Criminel !
C’est plus un clin d’œil qu’un hommage, je kiffe le morceau, mais le but n’était pas de faire une reprise ou un remake, c’est juste le titre qui est venu pour le gimmick du refrain.

Dans cette chanson, vous rappez "Je suis le fruit de mon époque", ça vaut pour le rap français ?
Il l’a toujours été. À la fin des années 1990, lors du premier âge d’or du rap français -maintenant, c'est le deuxième-, le rap était très social. Il n’y avait pas les réseaux, pas la téléréalité, et ça se ressentait dans le rap, très axé sur les maux de la société. Aujourd’hui, ça l’est moins. Il y a d’autres choses dans la tête des jeunes qui rappent. Le rap n’a toujours été qu’une éponge de son environnement. Perso, je n’ai aucune nostalgie. L’époque qu’on traverse est mieux dans le sens où il y a plus de variété dans le rap, plus de styles.

Le public rap semble peu intéressé par l’histoire de cette musique. Pourquoi ?
Je pense, c’est mon point de vue, que c’est la faute des médias rap. Qu’est-ce qui fait que le public de la variète connait les classiques de la variète ? C’est parce que les radios qui passent ce style de musique diffusent les classiques. Que tu aies 50 ou 20 ans, quand tu écoutes ce genre de radio, tu entendras du Véronique Sanson, du Sylvie Vartan, du Michel Berger à côté de Vianney et Julien Doré. Les médias hip hop ne mettent que du rap de maintenant, sans laisser de la place aux classiques. Ça n’habitue pas l’oreille des petits à ça. Je ne parle que des médias rap, les autres ne calculent pas vraiment le rap, à part un type bien précis.

Vous faites un clin d’œil à Demain c'est loin d’IAM dans le titre Plus belle la vie, plus belle la mort…
Mes références sont autant dans les classiques d’IAM que dans ce qui se fait actuellement. Je ne suis pas attaché au passé ou uniquement au présent, je suis attaché à la bonne musique.

Dans Demain j'arrête, vous dites "Je fais partie des sales types qui sont des braves gens"...  
Je suis un sale type parce que je suis le produit de mon environnement, mais qui au final, a un bon fond.

Le single Branché, une histoire de prison en collaboration avec Momsii, sonne vrai. Réalité ou fiction ?
Branché, c’est un mix de plein de petites histoires vraies. L’histoire en tant que telle est une fiction, mais faite de situations vécues. Momsii n’était pas en prison au moment du morceau (rires).

Exister dans le rap en venant d’Orléans, c’était impensable il y a 15 ans…
Quinze ans, c’est l’époque où j’ai commencé, et en effet, c’était compliqué. Il fallait monter sur Paname en train, on n’avait pas de gen-ar, on se battait, on trainait dans les studios, on allait poser sur des mixtapes. On a mangé le pain noir, je ne sais pas si c’est ça l’expression. Internet et les plateformes de streaming ont facilité beaucoup de choses.

Vous avez besoin d’une musique pour écrire ?
Pour Djamel*, j’ai expliqué aux compositeurs ce que je voulais raconter, on a fait la musique ensemble. Je disais "Pas cette mélo, ça n’est pas assez poignant. Au bout de quatre mesures, je veux que tu fasses comme ça, là faut calmer le jeu, là il faut que ça soit vénère". Quand la cohérence d’un titre est importante, je fais comme ça. Je peux avoir une idée de morceau, je ne vais pas commencer à l’écrire sans l’instru. La musique ne me dicte pas l’écriture, mais le phrasé et le flow.

Un concert de rap, ça doit être sobre ou spectaculaire ?
Un bon concert dépend du profil de l’artiste. S’il est extravagant avec un univers fort et coloré, il faut que ça se ressente sur scène. S’il est dans l’émotion ou la sobriété, pas besoin d’une mise en scène avec des astres et des vaisseaux spatiaux. Il faut que le public passe un bon moment, qu’en ressortant de la salle il en ait eu pour son argent, qu’il ait transpiré, ri, pleuré comme il devait, qu’il ait envie de revenir la prochaine fois. Certains rappeurs se jettent dans la foule, d’autres non, ça n’est pas pour ça que leurs concerts sont moins bien. Il faut être sincère dans sa démarche.

Vous utilisez le playback en concert ?
Moi, perso, je n’en mets jamais. Les titres que je joue, je fais l’effort de les réapprendre si je ne les maitrise pas. Sur scène, je n’ai ni backer ni playback, c’est de la voix pure, c’est réel, c’est ça que les gens kiffent.

*Djamel, récit véridique à la première personne d’une victime des attentats du 13 novembre 2015 que Dosseh connait ("C’est l’histoire d’un ami à moi, pas une fiction, ça n’est même pas romancé, tout est totalement vrai de A à Z")

Dosseh Trop tôt pour mourir (Millenium/Capitol) 2022

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